lundi, avril 15, 2024

Un brevet biopirate légalisé en Guyane : « Un déni du droit »

Le 21 février dernier, l’Office européen des brevets a validé un brevet considéré comme biopirate. Déposé par l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement, ce brevet porte sur les propriétés antipaludiques d’une plante de Guyane française, la Quassia Amara utilisée par les populations autochtones dans leurs remèdes traditionnels ancestraux pour lutter contre le paludisme. L’IRD a choisi de breveter la molécule extraite à son seul bénéfice.

Un cas flagrant de biopiraterie selon les associations, dont France Libertés, qui ont fait opposition à la demande de brevet devant l’Office européen des brevets. Sans succès.

  • Avec Leandro Varison, juriste spécialisé Droits des peuples à la Fondation France Libertés.

Comment interpréter la décision de l’Office européen des brevets ?

« C’est un déni de droit. Cela montre à quel point l’Office européen des brevets a une posture encore hermétique à l’adoption et au respect des droits des peuples autochtones, malgré tous les développements de ces droits à l’échelon international et dans différents pays. L’Office européen des brevets continue encore à être fermer à l’avancée de ces droits. »

En quoi les pratiques de l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement, sont-elles condamnables ?

« L’IRD a envoyé en Guyane des chercheurs pour sonder auprès des populations locales quels étaient les remèdes traditionnels qu’elles utilisaient. Des recettes que les chercheurs ont collectés ressortaient des références à une plante, la Quassia Amara, qui est utilisée par la population native de Guyane pour traiter le paludisme. A partir des remèdes traditionnels des communautés guyanaises, ils ont procédé à des recherches pour identifier quelle était la substance que contient cette plante qui permet de lutter contre le paludisme. L’IRD dit, « nous avons trouvé cette molécule, non pas grâce aux savoirs autochtones, mais parce que les chercheurs se sont impliqués dans la recherche. » Dans ce cas, pourquoi ont-ils envoyé des chercheurs en Guyane pour recueillir des recettes traditionnelles ? Les chercheurs eux-mêmes, dans des articles scientifiques qu’ils ont publiés, reconnaissent tout à fait l’apport des savoirs autochtones au développement de la recherche. Ce que nie, par la suite, l’IRD. »

Lors de l’audience devant l’OEB, Tapo Aloïke, le représentant des communautés amérindiennes Wayana de Guyane n’a pas été autorisé à témoigner. Comment l’interprétez-vous ?

« La participation des peuples autochtones dans les affaires qui les concernent est un droit acté dans la sphère internationale depuis des années. Aujourd’hui, dans n’importe quelle instance internationale, il n’y en a pas une seule qui n’accueille pas l’avis des peuples autochtones avant de prendre une décision. La présence d’un représentant autochtone lors de l’audience aurait permis aux examinateurs de poser des questions très précises permettant d’éclairer la démarche de l’IRD et la nouveauté du brevet en question. Or, d’après les règles de procédure de l’OEB, Tapo Aloïke aurait très bien pu prendre la parole. Mais l’IRB a commencé l’audience en refusant le droit de parole à Tapo Aloïke. La seule excuse était « il y a beaucoup de choses à discuter, si on écoute en plus le représentant autochtone, cela va rallonger la procédure. » Ce qui ne veut rien dire. Mais l’OEB a donné raison à l’IRB. C’est révoltant qu’aujourd’hui, en 2018, un représentant autochtone ne soit pas autorisé à parler. C’est étonnant qu’une instance internationale ne respecte pas le droit international des peuples autochtones. »

Quelles peuvent-être les conséquences, pour les peuples autochtones, de la décision de l’OEB ?

« Il y a une conséquence très pratique. C’est le fait que les propriétés de la plante appartiennent maintenant à l’IRD. Si les peuples autochtones souhaitent développer et exploiter leurs savoirs traditionnels concernant la plante, la Quassia Amara (Quassi en Guyane), ils ne le peuvent plus. S’ils essaient de le faire, ils deviennent des contrefacteurs. Les peuples qui sont les détenteurs d’un savoir traditionnels et qui ont découvert les propriétés antipaludiques de cette plante ne peuvent plus le faire. S’ils le font, il doivent demander l’autorisation à l’IRD et payer si l’IRD le demande. Cela a des connaissances plus importantes. C’est le manque de reconnaissance totale et le mépris des populations autochtones. En Guyane c’est un grand enjeu. La reconnaissance des peuples autochtones veut dire que ce ne sont pas des êtres du passé, qu’ils contribuent au développement de l’humanité, y compris la science occidentale. Là, l’IRD est en train de nier tout cet apport de connaissances traditionnelles des peuples autochtones. »

Au-delà de ce cas, comment concilier recherche scientifique et respect du patrimoine et des pratiques ancestrales ?

« Il y a plusieurs exemples dans le monde. Les pays du continent américain nous fournissent de très bons exemples. Au Canada, au Pérou, au Brésil, on voit très bien comment le fait d’associer les communautés autochtones dans tous les étages de la recherche produit de bons résultats. Ce qui m’étonne le plus, c’est que l’IRD, au lieu prendre ce cas pour changer ses pratiques, pour intégrer les communautés autochtones, pour demander leur avis, pour établir de bons rapports avec elles, elle reste fermée. C’est dommage pour l’IRD, c’est dommage pour la recherche française, c’est dommage pour les peuples autochtones. »

 

Fin février, l’IRD a répondu sur son site à France libertés en récusant « vivement les accusations de biopiraterie formulées à son encontre » et affirme qu’elle s’est engagée en mars 2016 « à partager sans restriction les éventuels avantages découlant d’une licence de brevet, selon les modalités qui seront définies par les autorités compétentes en Guyane française, en application du protocole de Nagoya. »

 

Pour aller plus loin :

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=CKwXkrYVdtc]

 

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