samedi, avril 20, 2024

1968-2018 : Mai 68 et après ? (4 et 5/5)

Cinq chroniques consacrées au 50e anniversaire de Mai 68 : Slogans, Radio Barricades, Che Guevara, L’« autre »  Mai 68 : pacifisme libertaire, désobéissance civile, activisme non violent, Les « enfants » de Mai 68, la presse alternative, Mai 68 perçu dans les médias cinquante ans plus tard…[1]

De nombreux historiens évoquent une embellie après les affres de la Seconde Guerre mondiale : « La période dite des ‘Trente Glorieuses’, de 1945 à 1973, fut pour les pays industrialisés occidentaux d’une prospérité exceptionnelle »[2]

C’est ainsi que s’écrit l’Histoire ! Prospérité exceptionnelle pour qui ? Pour des industriels, dont certains avaient pactisé avec Hitler et ses sbires, échappant, aussi, à rendre des comptes ? Pour des nantis qui avaient planqué leurs avoirs en Suisse ou avaient pris la fuite aux États-Unis ? Pour des opportunistes se servant allègrement aux mannes déversées par l’Oncle Sam pour redresser l’Europe ? Pour des patrons qui accéléraient les rythmes de productions sans pour autant se préoccuper du bien-être des travailleurs ou faisaient appel à une main-d’œuvre étrangère traitée comme des parias, les guerres de 14-18 et 40-45, ayant décimé la population masculine européenne ? Pour des politiciens qui imposaient le principe si peu démocratique de la particratie ?[3]

Car, ne nous y trompons pas, ce fut aussi au temps des ces « Trente Glorieuses », que la classe ouvrière dut monter au créneau (au prix de nombreuses victimes massacrées par les forces dites de l’ordre ou armées aux ordres des classes dirigeantes) pour arracher quelques droits, car, comme l’explique Gérard De Coranze, Prix Renaudot et de l’Académie française, dans son roman « Laisse tomber les filles »[4] au sujet du monde ouvrier de l’époque : « Un monde du travail où règnent la peur, les accidents de travail, les conflits sociaux, les fours qui explosent, la mort des ouvriers maghrébins respirant à pleins poumons la poussière de graphite… ».

Luttes citoyennes

Autres luttes citoyennes furent celles pour acquérir une relative sécurité sociale, une petite revalorisation salariale, sans oublier, le droit enfin donné au peuple (femmes y comprises), d’élire leurs représentants aux assemblées de l’État, d’un enseignement pour toutes les classes sociales, ensuite, au fil des décennies la défense de l’environnement, tel l’exemplaire combat des habitants du Larzac qui, à la force qui voulait voler leurs terres, répondirent, durant dix ans, de manière pacifiste et finirent par gagner la partie !

Et puis de Charlie Hebdo à l’hebdomadaire POUR, dont le slogan, est « Pour écrire la liberté » et qui, après vu ses locaux partir en flammes par la main de militants d’extrême droite, déclara : « Ils ne nous feront pas taire ! », ce fut aussi la naissance des radios dites libres, d’une presse plus indépendante, moins scotchée aux pouvoirs et aux publicitaires.

Le regretté Cabu dit à ce propos[5] : « En mai 68, j’étais tous les jours à la Sorbonne. C’est le seul moment où j’ai cru que l’intelligence arrivait au pouvoir. Les élections qui ont suivi m’ont déçu. C’était trop tard, la société de consommation était déjà amorcée. Dès que l’essence est revenue, c’était fini (…) Le général de Gaulle n’a pas compris, en mai 68, que la jeunesse avait d’autres aspirations. Il n’était pas tourné vers les jeunes. Il s’est même rendu à Baden-Baden, pour demander au général Massu s’il avait l’appui de l’armée. Sans être un dictateur, il était autoritaire. Un an après mai 68, il nous a laissé le silence. On parle souvent de moi comme un ex-soixante-huitard, c’est vrai, je le revendique. »

Et aujourd’hui ?

J’ai récemment lu, ci et là, qu’à partir des années 90, on entra dans le temps de l’indifférence, dans l’ère du chacun pour soi, de l’individualisme érigé en règle de vie. Certes, il y  a encore des idéalistes, des militants, mais 60% des jeunes pensent que l’humanité vit une période de régression et 83% croient que le monde va à sa destruction.

Il y a quelques jours, un syndicaliste déclarait sur les antennes de France Inter : « C’est à partir de mai 68 que l’on a reconnu la légitimité du syndicalisme dans les entreprises, avant cela tout devait se faire à l’extérieur. En mai 68, il s’agissait de forces vives qui pouvaient renouveler le pays… »

Désabusé, il conclut : « Pourquoi assiste-t-on à une érosion du syndicalisme depuis quelques années ? Parce que, avant, on trouvait normal de se syndiquer par solidarité sociale et puis, on assista à un renversement pour faire de plus en plus place à l’individualisation ! Des salariés ne connaissent même plus leur patron vu la mondialisation, des employés et ouvriers sont licenciés au nom de la « restructuration », alors que les actionnaires de leurs entreprises s’enrichissent de plus en plus… D’où, transformation culturelle des rapports entre patronat et syndicalisme : à la place du dialogue, c’est redevenu le ‘ diviser pour régner ’ ! »

Mais, ne terminons pas cette série consacrée à « Mai 68 » sur une telle note défaitiste et pessimiste : Fréquence Terre et notre partenaire POUR sont là pour rappeler qu’aux quatre coins de la planète, il y a encore des citoyens qui oeuvrent pour une société plus juste et plus humaine. Un slogan tellement prisé en mai 68 !

[1] « Night in white satin », Moody Blues, 1967, « Éloïse », Barry Ryan, 1968, « San Francisco », Scott Mc Kenzie.

[2] Wikipédia, 2018.

[3] Extrait de ma participation au livre « Combats d’un humaniste algérien » de Larbi Adouane, à paraître aux Éditions Champs-Élysées-Deauville.

[4] Albin Michel, 2018.

[5] Éditions Glénat/Vents d’Ouest, Grenoble, 2007.

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