lundi, mars 18, 2024

Les femmes au cœur de l’expérimentation démocratique au Rojava

Atteindre l’autonomie économique des femmes, leur permettre de nouer du lien social et leur donner confiance, c’est l’objectif fixé par le marché des femmes au Rojava.

Ce projet de souk est porté par les femmes au cœur d’une région, le Kurdistan syrien au nord-est de la Syrie, où une expérimentation politique inédite se déploie depuis dix ans. Le municipalisme, ou confédéralisme démocratique, anime ce territoire autonome où vivent trois à quatre millions de personnes.

Chloé Troadec, est une volontaire française du Rojava Information Center. Installée à Qamishlo, elle suit de près la société civile qui vit au rythme de ce confédéralisme démocratique, une expérience qui se fonde sur une idée…

« Toutes les décisions et la manière dont est organisée la vie part des communes. Les communes ne sont pas vraiment des municipalités, mais des regroupements de familles, entre 100 personnes et 100 familles en fonction des endroits. Elles sont rassemblées dans une commune. Ces communes se rassemblent à différents niveau de gouvernance, de quartier, de sous-district, de district, de canton et de régions, pour ensuite former l’administration autonome du nord-est de la Syrie qui est l’entité politique « parapluie » pour tout le nord-est de la Syrie. Toutes est basé sur les décisions, les propositions et les critiques qui vont être faites au niveau des communes. C’est ensuite au niveau des assemblées plus larges que les décisions qui concernent plus de monde vont être prises. Mais chaque commune doit pouvoir être autonome dans ces décisions pour tout ce qui concerne la vie à l’intérieur de la commune. »

Ce système a pris forme en 2011, avec le Printemps des peuples, qui a commencé en Tunisie, et s’est répandu au Moyen-Orient.

« Il y a eu aussi un soulèvement au niveau du peuple syrien en entier. Les Kurdes, dans le nord de la Syrie, ont saisi l’opportunité pour essayer d’obtenir les droits politiques, sociaux et culturels qui n’ont jamais pu obtenir du temps du régime Baas, qui était assez penché sur le nationalisme arabe. Il y a eu une fenêtre d’opportunité ouverte à ce moment-là. Les Kurdes se sont organisés en unité d’autodéfense, les YPJ YPG, qui sont devenus connus après la bataille de Kobané, et ont réfléchi au système à mettre en place. Cette proposition du confédéralisme démocratique vient aussi du mouvement de libération kurde en général et d’Abdullah Öcalan en particulier. C’était quelque chose de connu et défendu parmi les Kurdes au Rojava . L’influence de cette idéologie du mouvement de libération du Kurdistan au Rojava était déjà très forte avant 2011. Et en 2011, ce sont les personnes qui défendaient ce projet politique-là qui ont été les plus actifs et qui l’ont mis en place. A ce moment-là c’était un peu le chaos en termes politique et militaire. Il n’y avait pas d’élections. Ce sont les gens par eux-mêmes qui se sont mis à réaliser ça, à créer ces communes et au fur et à mesure à créer leur système. »

© Rojava Information Center

Les femmes, parties prenantes des décisions

Ce confédéralisme démocratique concerne les sept régions du nord et de l’est de la Syrie. A tous les niveaux de gouvernances, des comités sont mis en place, comité d’éducation, de réconciliation, d’autodéfense, de formation. Ces institutions sont coprésidées en mixité avec des quotas de parité, de genre et de nationalités. Les femmes y prennent toutes leurs places, à tous les échelons du fonctionnement.

« A tous les niveaux de gouvernance il y a, en parallèle des assemblées mixtes, une assemblée autonome des femmes. Et il y a de manière générale énormément d’organisations autonomes des femmes. Une des plus efficaces, ce sont les maisons des femmes, des Mala Jin. Les femmes peuvent y aller pour exposer leur problèmes, chercher des solutions, pour trouver un travail. Elles sont là pour répondre aux besoins des femmes dans la société. Et il y a les assemblées des femmes qui décident de la même manière que pour les communes, qui s’organisent en termes d’autodéfense, de réconciliation, d’éducation, d’économie au niveau de leur commune. Il y a aussi une branche de l’économie des femmes. Elles sont en charge de réaliser de projets de développement économique pour ouvrir des opportunités professionnelles et pour donner de l’autonomie économique aux femmes. Elles ont créé plein de coopératives de femmes. »

Vers une autonomie économique des femmes

Et à Qamishlo, c’est de cette Assemblée autonome des femmes  qu’a émergé un projet de souk, un marché porté par les femmes. Un projet lancé par la municipalité de Qamishlo, avec une vocation sociale et économique importante.

« L’idée de ce projet c’est de permettre aux femmes d’atteindre une forme d’autonomie économique. C’est 14 femmes ensemble qui vont avoir chacune leur échoppe dans le marché. Certaines vont vendre des choses qu’elles auront acheté au grossiste et vont revendre au détail. Mais d’autres vont faite de la pâtisserie ou de l’artisanat, vont produire chez elles les produits qu’elles vont vendre au marché. L’idée est de permettre à ces femmes d’exercer une activité professionnelle, de sortir de la maisons de rencontrer d’autres femmes. C’est un aspect social, politique très important. Et au niveau économique cela développe une activité commerciale qui va leur fournir un revenu. Et ce revenu leur donne une autonomie financière qui fait qu’elles ne sont pas dépendantes de leur mari si elles sont mariées ou de leur père ou de leur frère si elles sont toujours célibataires et qu’elles vivent toujours chez leurs parents. Le but n’est pas seulement, on fait un marché des femmes , ça leur donne une autonomie économique et c’est terminé. L’idée n’est pas d’imposer tout de suite un mode de fonctionnement, mais de laisser ces femmes commencer leur activité et par la suite développer par elles-mêmes leurs propositions et mettre en place ce qu’elles ont envie. »

Redonner confiance aux femmes

Et pour beaucoup, avoir une activité économique leur donne une place dans la société et les incitent à prendre plus de responsabilités au sein de la commune.

« Il y a énormément de femmes qui nous disent, quand elles ont commencé une activité économique, ou qu’elles ont commencé à travailler dans une coopérative, ou commencé à travailler dans l’administration autonome, cela ouvre tout un champ des possibles. Ce n’est pas seulement cette activité, mais c’est aussi la confiance en elle qu’elles vont gagner. Après elles vont plus participer au sein de leur commune au fonctionnement démocratique. Après quelques années, elles vont vouloir travailler avec le bureau des femmes de la municipalité de Qamishlo pour développer d’autres projets pour d’autres femmes. C’est un premier pas pour beaucoup d’entre elles qui étaient chez elles, qui va les amener à faire énormément de choses. »

© Rojava Information Center

Vers un modèle du vivre-ensemble

Dix ans après son émergence, ce confédéralisme démocratique pourrait, selon Cholé Troadec, servir de modèle pour la Syrie, et même au-delà, une manière de tracer un chemin pour le vivre-ensemble.

« Le but c’est de dire que c’est une solution d’abord pour le Moyen-Orient. On voit qu’il y a des Kurdes, des Arabes, des Assyriens, des Syriaques , des Arméniens, des Tchétchènes, des Turkmènes qui vivent ensemble et qui mettent en pratique ensemble ce système. L’idée est de dire que ce système devrait être transposé au niveau de la Syrie et est une solution pour la crise actuelle en Syrie qui n’est toujours pas résolue après bientôt dix ans de guerre civile, de tentative de révolution au niveau global de la Syrie. On retourne dans l’impasse où c’est toujours Bachar el Assad qui est au pouvoir à Damas. D’abord ce doit être une solution pour toute la Syrie. Il y a le conseil démocratique syrien, qui est une institution qui vient du nord-est de la Syrie, qui travaille à ce regroupement de partis, d’organisations, de personnalités politiques autour d’un projet démocratique et fédéral pour la Syrie. Les modalités exactes de comment il devrait être mis en place restent à définir avec les Syriens dans les régions ou ils vivent. »

Une expérience démocratique fragile

Mais en attendant, ce modèle démocratique du nord-est de la Syrie reste menacé, pris en tenaille entre les intérêts de ses différents voisins. Et cela ne rassure pas Chloé Troadec.

« L’existence de ce modèle là en ce moment au nord-est de la Syrie est très clairement menacé, à la fois par les menaces permanentes de l’Etat turc qui a déjà envahi les régions d’Afrin, de Girê Spi Et de Serê Kaniyê. Tous les jours il y a des bombardements sur le front occupé par l’Etat turc. Et l’Etat turc a récemment menacé d’attaquer la ville de Derik qui est une ville à l’est du Rojava, une ville avec énormément de chrétiens. De fait, le nord-est de la Syrie est toujours pris en étau entre d’un côté la Turquie, d’un autre coté le régime syrien qui ne souhaite pas voir ce modèle-là implémenter en Syrie. Cela voudrait dire la fin du régime Baas, la fin de Bachar el Assad et cela voudrait dire un système démocratique pour le peuple syrien. Et aussi du côté est avec l’Irak et la région du Kurdistan irakien qui n’est pas favorable à un système démocratique. Le système qui est en place au Kurdistan irakien est plutôt un système de démocratie parlementaire mais qui est gangréné par la corruption et par la main mise par le clan Barzani sur la région. »

Et malgré ce contexte incertain, le confédéralisme démocratique au Rojava continue de se développer, avec notamment ce projet de souk des femmes à Qamishlo. Ce projet bénéficie du soutien de la Fondation Danielle Mitterrand.

© Rojava Information Center

Pour aller plus loin :

 

 

 

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