jeudi, mars 28, 2024

Les naufrages de Géricault 11h / Midi Un auteur, UN LIVRE

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Les naufrages de Géricault, une histoire de mer.
 » À la manière forte du peintre, basculant entre amour et amertume de la vie, ce récit tout en humanité, dresse un portrait saisissant de Géricault. Écrire sur un peintre aussi talentueux implique une vision exhaustive et englobante de sa personnalité où le moindre détail de sa biographie éclaire à la fois son caractère et son œuvre. La finesse et la sensibilité de Jean-Louis Berthet répondent parfaitement à ce défi.

Partant du récit de la perte de La Méduse, cette frégate de Rochefort dont la disparition au large de l’Afrique constitue le naufrage le plus scandaleux du siècle, Jean-Louis Berthet éclaire magistralement la création du fameux tableau, qui fait de Géricault l’un des peintres les plus doués de sa génération. Cet éclairage – passionnant et tout à fait nouveau – vient d’une passion amoureuse tournant au drame de famille et de l’abandon calculé du petit bâtard qui en résulte. L’auteur raconte de façon poignante les dernières heures des naufragés de La Méduse, car pour réaliser son chef d’œuvre, Géricault se lie avec les rescapés du naufrage et tire de leurs témoignages la force de son tableau. On comprend mieux que ce dernier soit devenu le manifeste du romantisme, en découvrant, en effet, pour la première fois le secret de la vie révoltée de Géricault : la naissance d’un enfant adultérin, dans un milieu bourgeois heurté par les amours du peintre et de sa tante.

Toutes ces vies mouvementées auraient pu donner naissance à de nombreux romans : celui d’une réussite financière en pleine Révolution, celui d’un jeune amoureux banni par les siens, celui d’une femme de la bonne société du XIXe siècle contrainte à renier son amour et son enfant, et le roman des vies brutalement interrompues de ces marins charentais naufragés à cause d’un commandant borné et incapable, nommé à son poste avant tout pour des raisons politiques…

Évoquer un peintre passe évidemment par une série d’illustrations que réunit Jean-Louis Berthet afin de mieux comprendre par des lettres, des miniatures et des autoportraits l’évolution des personnages constituant cette histoire. Le caractère d’Alexandrine, l’amante de Géricault et la mère de l’enfant adultérin, se dérobe encore. Éprouvée par la vie malgré son aisance, elle connut en fait plusieurs existences bien différentes, presque étrangères l’une à l’autre. Son mari, Jean-Baptiste Caruel, l’oncle de Géricault, figure la réussite bourgeoise que rien ne doit obérer. Quant au visage de Georges-Hippolyte, l’enfant caché, on ne le trouve nulle part. Personne ne s’intéresse à lui. « L’inconnu du Lion d’Or » n’est qu’un fantôme anonyme.

Quant à ces soldats embarqués pour l’Afrique et ces marins de Charente peints par Géricault dans Le Radeau de La Méduse, ils sont tellement connus qu’on ne les présente plus. Le tableau qui est accroché au Louvre, abîmé par le bitume dont le peintre a abusé, ne donne qu’une triste idée de celui qu’il avait réalisé et une plus piètre image encore de celui qu’il avait conçu. Enfin, les portraits de Géricault lui-même embrassent tous les autres. Du jeune homme songeur et timide qui se transforme en gandin, sympathique mais un peu prétentieux, à l’autoportrait en cuirassier qui traduit sa lutte devant les malheurs de la vie, puis à l’ultime portrait, celui de l’agonisant, tous sont finalement moins flatteurs que sa tête amaigrie sculptée par Étex pour son tombeau. Il s’agit du seul cadeau que son paria de fils, en recherche de ses origines, fit à celui qui l’avait abandonné.

Étrange destin qu’exprime cette double métaphore remarquablement rendue par Jean-Louis Berthet : l’abandon tragique du Radeau de la Méduse renvoie au fils abandonné, et la quête identitaire de celui-ci, clandestin, méconnu et méprisé, éclaire le génie torturé du grand peintre que fut Géricault. Un texte très actuel et très beau, mettant l’histoire d’un tableau emblématique au centre de son temps et lui donnant sens grâce à l’écho d’une vie personnelle d’un romantisme sombre.

Mais le livre vaut plus qu'un simpe inventaire factuel tel que le suggère ce résumé. Il vaut par  le style de l'auteur, aisé, élégant, souple, imagé, parfois poétqieu qui fait vivre autour du héros une cohorte de personnages représentatifs du XIX e siècle, en précisant leur histoire et leur devenir; il vaut par les interventions mêmes de l'auteur dans son sujet, s'efforçant d'interpréter, d'analyser les réactions psychologiques de chacun des protagonistes qui participent à ce récit véritablement romantique. 

Jean-Pierre Dinand, Roccafortis, janvier 2013. »

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