lundi, mars 18, 2024

Brésil : l’extractivisme tue encore

C’était le 25 janvier dernier. Un barrage de déchets miniers se rompt. Cela se passe dans le sud du Brésil, dans l’État du Minas Gerais. La rupture du barrage de Brumadinho, près de la capitale de l’État, Belo Horizonte, a libéré un fleuve de boue toxique détruisant tout sur son passage. Au moins 169 morts et presque autant de disparus.

La mine à l’origine de la catastrophe est exploitée par la multinationale brésilienne Vale. C’est la même société qui est impliquée dans une autre catastrophe minière qui a eu lieu dans la même région le 5 novembre 2015.

Avec Marion Véber, chargée de mission Droits des peuples à la Fondation France Libertés.

Trois ans après, l’histoire se répète, avec même la entreprise qui est pointée du doigt. Qu’est-ce qui s’est passé ?

« C’est effectivement le même enchaînement que le crime qui s’est produit en 2015 à Mariana. C’est, une fois encore, un barrage minier qui cède avec cette coulée de boue qui part sur des kilomètres et des kilomètres tout dévaster, des villages, la biodiversité, jusqu’à aller polluer et même assassiner un fleuve. Aujourd’hui on considère que le fleuve Paraopeba est considéré comme mort. C’est effectivement la même entreprise. Pour le cas de Mariana de 2015, c’était une joint-venture entre Vale et la multinationale BHP Billiton. Là pour le cas de Brumadinho, on est sur Vale exclusivement ».

A Mariana en 2015, on parlait de la plus grande catastrophe environnementale qu’avait connu le Brésil. 19 morts, plusieurs dizaines de villages touchés, quatre millions de personnes affectés au total. Cette fois, un nouveau cap est franchi ?

« Effectivement on a franchi un cap puisque, actuellement, on en est à 169 morts et 141 disparus aux derniers chiffres annoncés. En revanche, sur la question de l’impact environnemental, il est encore trop tôt pour dire laquelle des deux ruptures sera la plus impactante. Mais ce qui est sûr, c’est que l’effet cumulé des deux est déjà dramatique ».

Lors de sa prise de fonctions en mai 2017, le PDG de Vale, Fabio Schvartsman, avait fait sien le slogan « Mariana, plus jamais ». Vale n’a donc tiré aucune conséquence du drame de Mariana ?

« C’est bien le drame. Parce qu’effectivement, malgré cet engagement, on constate que rien n’a été fait. Comme pour Mariana, a priori l’entreprise savait que son barrage était défectueux. C’est la même chose pour Brumadinho. Il y a une enquête qui commence à révéler que l’entreprise était en possession de documents et de rapports faisant état d’un barrage qui risquait assez fortement de s’effondrer et de tout dévaster. Donc on voit bien que l’entreprise est consciente du fait que ces barrages ont des fortes chances de se rompre, mais ne prend pas les mesures pour atténuer le risque et préfère continuer sur la lancée du profit, quitte à mettre en péril la vie de plusieurs personnes. Donc c’était vraiment dramatique. Ce qu’on constate, c’est qu’aujourd’hui Vale nie sa responsabilité et va plutôt jouer sur la question de l’accident. C’est un accident, « oh, pauvre compagnie. C’est vraiment pas de chance pour nous, ça tombe sur nous ». Cela est vraiment très dénoncé aujourd’hui par la société civile, cette carte de victimisation que l’entreprise essaye de jouer ».

Vous avez parlé de crime. L’extractivisme tue encore. Et comme à Mariana avec le peuple Krenak, là, c’est un autre peuple autochtone qui est en première ligne. Les Pataxó Hã-hã-Hãe vivent sur les berges du fleuve Paraopeba totalement ravagé par les boues toxiques. C’est leur vie qui est ainsi mise en danger ?

« Oui. La rupture du barrage a affecté évidemment énormément de personnes, des villageois, mais aussi un peuple autochtone, les Pataxó Hã-hã-Hãe. Tout comme pour le peuple Krenak, qui avait été affecté par le crime de 2015, et bien les conséquences sont encore plus dramatiques pour ces peuples parce qu’ils vivent vraiment en relation directe avec leur environnement et notamment le fleuve. Dans le cas de 2015 c’était le fleuve Rio Doce, qui était considéré comme mort empêchant les Krenak de pêcher, de se baigner dans le fleuve, de boire. Et là on retrouve exactement les mêmes conséquences, le même scénario, avec les Pataxó Hã-hã-Hãe, qui aujourd’hui sont dans un même état que les Krenak de véritable désespoir, avec certains qui ne voient plus d’avenir possible avec un fleuve mort à leurs côtés qui, en plus, a une importance vraiment forte pour eux sur le plan spirituel et culturel ».

Et comme pour les Krenak, c’est vraiment leur vie, leur culture, leur histoire qui est mise en péril.

« Pour les Krenak, on pouvait même dire leur identité même puisqu’elle était vraiment liée au Rio Doce. Les Pataxó Hã-hã-Hãe eux aussi parlent d’une relation très forte à l’eau, où le mythe de création de leur peuple serait lié à une goutte d’eau. Donc effectivement, il y a cette dimension très forte qui n’est pas du tout prise en compte par les compagnies minières qui vont s’attacher plutôt à regarder les dommages matériels ».

Les représentants des Pataxó Hã-hã-Hãe ont dénoncé  l’exploitation démesurée de la nature au nom du développement. Des inquiétudes amplifiées avec le nouveau président Jair Bolsonaro.

On continue d’en parler la semaine prochaine avec Marion Veber.

Pour aller plus loin :

Brésil : depuis trois ans, les Krenak vivent “une violation de leur identité” (Anne Suarez)

 

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