samedi, décembre 7, 2024

Municipalisme au Rojava – une utopie menacée

Au Kurdistan syrien, le territoire du Rojava, situé au nord du pays, a engagé depuis plusieurs années une véritable révolution sociale, féministe, écologique et multiethnique, basée sur le municipalisme libertaire.

Mais cette expérience démocratique inédite, en plein cœur du chaos syrien est sérieusement menacée.

Avec Jérémie Chomette, directeur de France libertés.

Ce municipalisme, ou confédéralisme démocratique, est inspiré par un écologiste américain. Qui est-il et que prône-t-il ?

« C’est Murray Bookchin. C’est lui qui a fondé ce qu’on appelle l’écologie sociale, qui est un mouvement américain des années 1960-1970-1980, avec l’idée de sortir des relations de domination, notamment de domination et la nature et de la domination des êtres humains sur les autres. C’est pour cela que Murray Bookchin pensait qu’il fallait sortir de l’Etat : ne plus avoir un fonctionnement de l’Etat nation. A partir du moment où on a un gouvernement étatique, on retrouve toujours des mécanismes de domination. C’est là où il a inventé le municipalité libertaire qui a influencé Abdullah Öcalan, qui a créé le confédéralisme démocratique. Pour prendre des décisions et faire société, il faut repartir des échelles locales, et ne plus avoir un Etat tout en haut qui va décider pour les gens localement. C’est localement que l’on va prendre des décisions. Quand il y aura besoin de prendre des décisions communes qui vont toucher à plein de localités, il faudra se réunir en assemblée, avec des gens qui sont mandatés pour porter une parole et pas des gens qui sont élus pour diriger un pays et accentuer une forme de domination d’êtres humains sur l’autre ».

« Le municipalisme libertaire au Rojava peut-il être une source d’inspiration pour les mouvements municipalistes en Europe ? » C’était le thème de la conférence qui s’est tenue le 12 mars dernier. En quoi ce qui se vit au Rojava peut-il servir de modèle pour nos sociétés ?

Bob

« Ce qui est très intéressant, c’est qu’on a une mise en pratique. On n’est pas sur quelque chose de théorique. Dans un contexte qui est vraiment très particulier, on a vraiment des gens qui essaient de mettre concrètement en pratique un autre modèle de société, à l’échelle d’une région entière qui correspond à plusieurs millions de personnes. Donc forcément, il y a des tentatives, il y a des erreurs, il y a des réussites. Cela peut nous inspirer en Europe. En Europe on a des mouvements municipalistes qui ne se revendiquent pas forcément des mêmes idées qu’au Rojava, mais avec quand même certaines lignes directrices qui se regroupent : partir du bas et redonner le pouvoir aux citoyens localement. On a des mouvements, comme ce qui se passe par exemple en Espagne, où des listes de citoyens ont repris le pouvoir de leurs municipalités comme à Barcelone. Derrière, ils essaient d’organiser collectivement et localement l’organisation de la cité. Et c’est vrai que ce qui se passe au nord de la Syrie, au Rojava, est très inspirant. On peut s’intéresser à leurs pratiques, pour ne pas faire les mêmes erreurs ou pour mettre en place les réussites qu’ils ont eu. On peut prendre en exemple la Maison du peuple, ou la Maison des femmes, qui viennent répondre à des besoins très locaux. L’idée est de partager ce pouvoir avec les habitants ».

Cette révolution démocratique est en train d’être mise à mal. Pris dans le chaos syrien, le Rojava a essuyé notamment les bombardements de la Turquie. Pour quelle raison ? Quel est l’enjeu ?

« On est vraiment au centre de plein de jeux d’acteurs. On se retrouve avec tout ce qui se passe en Syrie, l’influence turque, l’influence russe, même l’Arabie saoudite et l’Iran. On se retrouve autour d’enjeux géopolitiques très complexes. Mais pour simplifier les choses, on a le voisin, la Turquie, qui voit d’un très mauvais œil la réussite de ce projet-là. La Turquie voit qu’il y a un territoire qui est un peu auto-administré par la majorité de la population kurde. Elle ne voudrait pas que la même chose se fasse sur son territoire en Turquie, où il y a 25 millions de Kurdes, à peu près, ce qui correspond à plus d’un quart de la population. Le gouvernement turc a très peur d’un soulèvement kurde et d’une reproduction de ce modèle-là en Turquie. Et on a un pouvoir, celui du gouvernement turc et d’Erdogan, qui est aujourd’hui mis à mal. Ils ont des grosses difficultés économiques. Pour garder ce pouvoir et garder l’adhésion de la population, ils essaient de revenir aux sentiments nationalistes en essayant d’annexer des anciennes parties de l’Empire ottoman et de ce qu’il revendique comme la grande Turquie. C’est pour cela qu’ils ont intérêt à dire qu’ils veulent récupérer une partie du nord syrien pour montrer à leurs électeurs qu’ils ont une Turquie forte, qui saura redonner un vrai sentiment de fierté aux nationalistes turcs qui attendent de retrouver le grand empire ottoman ».

https://vimeo.com/316782950

Quel avenir pour le Rojava et son modèle démocratique ? Est-ce- qu’il y a un soutien de la communauté internationale ou de la société civile ?

Bob

« Aujourd’hui il n’y a pas un soutien international, en tout cas pas des Etats, au modèle en lui-même. Il y a un soutien géopolitique, lié aux enjeux, des Américains et des Français. On a un soutien armé mais qui n’est absolument pas un soutien au projet. Et donc les soutiens au projet en lui-même se trouvent plutôt au niveau des mouvements. Il y a une partie des « gilets jaunes », qui se sont réunis à Commercy, en février dernier, pour déclarer leur soutien au Rojava et à ce projet politique. Il y a pas mal de mouvements et de populations en Allemagne, au Royaume-Uni et un petit peu en France et en Italie, qui essayent de se mobiliser, à la fois pour dire combien ce mouvement est inspirant et en même temps pour l’appuyer et faire connaître ce projet-là. L’idée est de faire en sorte qu’il ne s’arrête pas et de faire pression sur les gouvernements. Aujourd’hui, il y a vraiment une importance très forte à faire pression sur le gouvernement français et sur le gouvernement britannique pour qu’ils ne s’en aillent pas. Car si tout le monde venaient à se retirer, là ça serait vraiment très très compliqué pour ces populations-là de s’en sortir ».

Pour aller plus loin :

 

 

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