jeudi, avril 25, 2024

« La Chose » Bolsonaro : un an après, un livre témoignage sur la vie des Brésiliens

Il y a un peu plus d’un an, Jair Bolsonaro était élu président de la République du Brésil. C’était le 28 octobre 2018. Les Brésiliens portaient au pouvoir cet ancien militaire proche de l’extrême droite. Depuis, ils assistent à un profond bouleversement de leur pays, tant économique, sociétal, environnemental, ou encore sécuritaire.

Muriel Pérez est photographe et auteure. Il y a un an, elle a passé plus d’un mois aux côtés de ces Brésiliens. Elle témoigne, dans un livre à paraitre prochainement, de l’ascension au pouvoir de Jair Bolsonaro et du ressenti de la population.

Muriel Pérez, vous êtes une ancienne membre de la Fondation France Libertés. Vous avez beaucoup travaillé dans le développement international. « O Coiso, la chose » est un récit sur votre voyage au Brésil de l’an dernier. Vous connaissez bien le Brésil pour y avoir vécu plusieurs années. Avant de parler de cette élection qui a changé la vie des Brésiliens, d’’abord, quel souvenir, quelle impression gardez-vous de ces années passées là-bas ?

« La première fois que j’y suis allée, c’était en 2012. Je suis arrivé à Rio, c’était l’époque vraiment dorée. On avait envie d’y aller, on avait envie d’y vivre. Tout était encore très lumineux là-bas. C’est vraiment une période très lumineuse que je garde en mémoire. C’était avant toute la période des Jeux olympiques et de la Coupe du Monde, et le début des grands mouvements sociaux qui s’opposaient à cela. Très lumineux, c’est le mot qui me vient. »

Vous y êtes donc retournée l’année dernière à l’occasion d’un festival de cinéma. Qu’est-ce qui vous a marqué en y arrivant ?

« J’y retourne depuis 2015.  J’y passe trois mois dans l’année. Et à chaque fois je vois la situation changer. C’est toujours Rio qui m’impressionne le plus parce qu’il y a une augmentation de la violence qui est réelle, palpable. Même dans ma bulle des beaux quartiers de Rio, il y a des choses que je pouvais faire en 2012, il y a des rues dans lesquelles je pouvait marcher en 2012, dans lesquelles je ne peux plus marcher maintenant. Ce sont des choses tout à fait palpables. C’est ce qui est le plus marquant. L’Etat de Rio est un Etat qui est en faillite. C ‘est quelque chose qui est en train de s’effondrer. Ça évidement, ça m’a tout à fait marqué. »

« Tout était devenu politique »

« L’an dernier, j’ai passé un mois dans le Nordeste. C’était la période des élections.  A ce moment-là tout était devenu politique. Il n’y avait pas une discussion qui ne retombait pas là-dessus. Tout le monde se positionnait. Même quand on passait à la caisse du supermarché, il y avait un échange là-dessus, pour qui on allait voter, qu’est-ce qui allait se passer. On montait dans un bus, on parlait avec le voisin. Tout était politique tout le temps et du coup tout très polarisé. C’était très impressionnant de voir à quel point on n’arrivait pas à penser à autre chose, à parler d’autre chose. »

© Muriel Pérez

Depuis l’élection, vous dites que les Brésiliens se sont retrouvés face à l’horreur qui se déploient de jour en jour. Quelle est-elle cette horreur ?

« Moi j’y étais pendant toute cette période où il a constitué le gouvernement. On ne savait pas encore ce qu’il allait faire. Mais malgré ça, tous les jours on recevait des nouvelles. Par exemple le ministre de la Justice qu’il allait nommer, c’était le juge Moro qui a mis Lula en prison, ou son nouveau ministre de l’Environnement qui est un climatosceptique. Il a nommé pendant cette période-là une ministre de la famille qui est une pasteur évangélique. L’une des premières choses qu’il a fait c’est de supprimer le ministère de la Culture. Tous les jours il y avait une nouvelle pire que la veille qui arrivait et on se demandait quand est-ce que cela allait s’arrêter. C’était juste hallucinant. »

« Ne pas se laisser faire »

Face à cette horreur vous mettez en avant la résistance des Brésiliens et leur force créatrice.

« Il y a sur place des mouvements qui se créent, des gens qui se solidarisent, qui ont envie plus que jamais de ne pas se laisser faire, de ne pas laisser faire, de parler, de dénoncer. Du coup, beaucoup de mouvements de résistance se sont organiser, des films se sont faits, des collectifs se sont organisés. Il y a énormément de choses qui se passent au Brésil et en dehors du Brésil par les communautés brésiliennes, ou solidaires avec le Brésil. C’est quelque chose qui en fait m’a aussi donnée de l’espoir. »

Par le biais de vos amis sur place, quel sentiment vous avez sur ces Brésiliens qui se sont laissé tenter par Bolsonaro? Où ils en sont?

« Ça, c’est très rigolo. Dès le lendemain de l’élection, il y avait déjà des dizaines de groupes WhatsApp, Facebook, Instagram qui s’étaient constitués de gens qui regrettaient d’avoir voté pour lui. Dès les premiers jours après son élection, il a commencé à faire des trucs. Dans son premier gouvernement, il avait nommé trois personnes qui étaient poursuivies dans des histoires de corruption. Donc les gens disaient, on pensait qu’on avait voté contre la corruption et on nous met des corrompus au pouvoir. »

« Une grande partie de la population a vu les masques tomber »

« Il y a quand même une grande partie de la population qui n’y a vite plus cru, ou qui a vu les masques tomber. Et il y a une autre partie de la population qui profite de l’ultralibéralisme économique qu’il est en train de mettre en place, qui profite du système et qui continue de l’encourager. C’est encore un président qui a du soutien, mine de rien. Je ne crois pas qu’il soit encore devenu le président le plus impopulaire du Brésil. »

« Comme Voldemort, on ne pouvait pas prononcer son nom »

De ce voyage, vous en êtes revenu avec des notes et des photos… Vous les réunissez dans ce recueil… « O Coiso, la chose ». Quel témoignage voulez-vous livrer ?

« Il faut déjà expliquer le titre, O Coiso, la Chose. O Coiso, c’est un des multiples surnoms qu’avait Bolsonaro. C’était vraiment devenu un peu comme Voldemort, on ne pouvait pas prononcer son nom. Du coup il y avait des dizaine de surnoms, dont O Coiso, qui veut dire La chose. En fait, j’ai toujours sur moi un petit carnet dans lesquels j’écris beaucoup quand je voyage. Et quand j’étais au Brésil je m’étais mis cette règle de faire une photo par jour. Quand je suis rentrée en France, tout ce que je venais de vivre au Brésil avait été tellement intense, je n’arrivais pas beaucoup à écrire pour les gens. Je n’arrivais pas à raconter à mes amis ce qui se passait.

Un document précieux

Un jour, je revenais d’aller récupérer mes négatifs que j’avais fait développer. J’étais super contente des photos que j’avais faites. Une amie d’enfance qui est graphiste me dit Muriel, cette fois-ci, il faut qu’on en fasse quelque chose. Il faut qu’on en fasse un livre, il faut que cela sorte, que ce ne soit plus uniquement à tes amis à qui tu racontes. Ce que tu as vu, ce que tu as témoigné, ce que tu as vécu, c’est un document qui est précieux, qui raconte le Brésil de ton point de vue, qui est le point de vue de quelqu’un d’extérieur, mais qui connait bien l’intérieur aussi. »

© Muriel Pérez

Le livre « O Coiso, la chose » va paraitre grâce à un financement participatif, disponible notamment via le site de France libertés. Et les photos de Muriel Pérez seront exposées à Paris à la galerie du Floréal Belleville du 12 décembre au 7 janvier 2020.

Pour aller plus loin :

 

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