jeudi, mai 2, 2024

La souveraineté alimentaire au Liban à l’honneur du prix Danièle Mitterrand

Le Liban est à l’honneur du 8e prix Danielle Mitterrand. La Fondation a décidé de distinguer cette année le collectif Buzuruna Juzuruna.

Dans un pays ravagé par différentes crises, sociale, économique et alimentaire, ce collectif œuvre depuis 2015, pour la souveraineté alimentaire, avec notamment une ferme-école, située dans la Vallée de la Bekaa.

  • Avec Joséphine Delesalle, chargée du Prix Danielle Mitterrand.

Chaque année, le prix Danielle Mitterrand distingue les alternatives qui travaillent à une métamorphose démocratique, écologique et solidaire du monde. Et cette année, c’est vers le Liban que vous vous êtes tournés, avec ce collectif, Buzuruna Juzuruna. Qui est-il et que signifie son nom?

« Buzuruna Juzuruna veut dire ‘nos graines sont nos racines’ en arabe. Depuis 2015, il œuvre à la souveraineté alimentaire des Libanais et des réfugiés syriens au Liban. Et il participe au développement et à la distribution de semences paysannes, à la formation à l’agriculture et l’aide aux familles réfugiées. »

Sauvegarder le patrimoine alimentaire

Le collectif dit vouloir s’inscrire dans une démarche de souveraineté alimentaire. Qu’est-ce que cela signifie ?

« La notion de souveraineté alimentaire est dans l’ADN du collectif. Elle est ancrée depuis toujours dans la construction du projet. C’est un collectif qui est avant tout solidaire dans l’idée de faire ensemble. Dès le départ, il a eu cette volonté de maintenir un patrimoine alimentaire et de participer à ce que personne ne fuit son pays pour cause de faim. Le projet est né de plusieurs chemins. Il y a Ferdinand et Zoé qui sont frères et sœurs. Ils sont partis de France pour faire un tour du monde. Et il se sont retrouvés au Liban dans l’incapacité d’avancer puisqu’il y a la guerre en Syrie. Ferdinand, qui est ingénieur agronome de formation, a trouvé un travail dans une ferme. Ils y ont travaillé tous les deux. Dans cette ferme, ils ont rencontré Oualid et Salem, deux réfugiés syriens qui avaient dû tout abandonner pour fuir la faim de leur pays. En vivant tous ensemble sur cette ferme, ils ont construit beaucoup de liens. Ils se sont rendus compte qu’il y avait un projet à créer et qu’ils avaient envie de participer à ce que personne n’ait besoin de fuir son pays pour ça. Ils ont donc voulu créer un lieu, une ferme où ils puissent travailler sur les semences, faire perdurer un héritage qui puisse être transmis à tout le monde. »

Après avoir démarré leur projet sur bout de terrain prêté, le collectif a aujourd’hui sa propre ferme qui se développe.

« Ils ont pu développer leur ferme, vendre leurs légumes. Aujourd’hui, c’est une volonté qui s’est accentuée avec les années. Au Liban, il y a une énorme crise économique sans précédents. Donc c’est plus que jamais une volonté et une nécessité que de pouvoir se nourrir et de participer à la formation des personnes pour qu’elles puissent se nourrir. Les citoyens libanais ont perdu tout leur pouvoir d’achat. Les denrées alimentaires sont encore aujourd’hui importées sur le cours du dollars américain. Ces personnes ont besoin de retrouver une souveraineté alimentaire ne serait-ce que pour répondre à leurs besoins. »

© Buzuruna Juzuruna

Eveiller les consciences

Cette démarche du collectif prend encore plus de sens depuis le soulèvement des Libanais l’an dernier, en octobre 2019. En quoi c’est important ?

« Il y a une crise économique. Et depuis un an, il y a une crise politique qui est venue s’ajouter à tout ça. Cela a pris énormément d’ampleur dans le collectif. Serge, le président de l’association, est Libanais. Il a eu besoin de participer au soulèvement de son peuple. Afin de pouvoir toujours aider les paysans à avoir un peu d’autonomie et de les libérer de monopoles alimentaires, ils ont proposé un accès à la connaissance qui n’est pas toujours facile dans ce pays. Ils ont mis en place notamment des livrets de formation en arabe. Ils ont également fait une tournée partout dans le pays afin de visiter les communautés révolutionnaires pour parler de Buzuruna Juzuruna et de leurs actions. »

Cette tournée dans le pays a eu un fort impact sur les populations.

« Ces visites ont réveillé des consciences. Elles ont aussi réveillé des initiatives locales, les jardins partagés. En fonction des camps, ils trouvaient une parcelle de terrain qu’ils pouvaient potentiellement exploiter et ils formaient les gens à cultiver leur jardin. Cela a éveillé beaucoup de choses chez les gens. Ils se sont rendu compte qu’il était important d’agir localement et de continuer cette révolte. Il y a eu une grosse transmission de savoirs pendant la révolte et une volonté toujours plus accrues de continuer les actions de Buzuruna Juzuruna. »

Une belle utopie

En quoi il met en pratique les valeurs défendues par la Fondation ?

« C’est un super collectif qui représente les valeurs de la Fondation qui sont de croire aux utopies. Il s’agit de montrer des utopies, des systèmes, qui, aux yeux de notre société, ne fonctionneraient jamais. Or, ce sont des alternatives qui fonctionnent. Buzuruna Juzuruna œuvre chaque jour à un monde plus juste, à un partage des connaissance, à une transmission de savoirs, à une souveraineté alimentaire qui est faite par les hommes de la meilleure manière possible. Aujourd’hui, dans la vallée de la Bekaa, la ferme de Buzuruna Juzuruna est entourée de champs de monocultures intensives. Le collectif nous explique que chaque mois, ils saignent du nez tellement que les paysans autour d’eux mettent de produits chimiques sur leurs fermes. C’est tellement fort qu’ils en arrivent à saigner du nez. On pense que par toutes leurs actions et par tout ce qu’ils font, ils représentent les valeurs de la Fondation. C’est un collectif qui se développe, qui transmet ses savoirs, qui participe à la formation de familles. Aujourd’hui, ce sont énormément de familles qui ont été aidées et formées pour savoir elles-mêmes cultiver leur potager. Il y a aussi une grosse partie de plaidoyer, une grosse partie de développement des semences. Ils ont aujourd’hui une maison de la semence. C’est un acteur présent dans le réseau de semenciers. Ils ont de l’énergie. Leur projet se développe. C’est vraiment une petite pieuvre qui commence à prendre part dans des projets vraiment différents. En cela, on estime que c’est une belle utopie. »

Nous reviendrons dans le détail du collectif la semaine prochaine avec les témoignages des acteurs de Buzuruna Juzuruna.

Pour aller plus loin :

 

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