mercredi, avril 24, 2024

« Chaque citoyen a la responsabilité de déconstruire les violences de la société » (Emmanuel Poilane)

« Coupures d’eau : Victoire des citoyens face aux multinationales« , c’est le titre d’un ouvrage signé Emmanuel Poilane et Jean-Claude Oliva. C’est le récit de plus de quatre ans de combat contre les coupures d’eau et pour redonner de la dignité aux victimes de ces coupures.

Est-ce que les relations se sont un peu normalisées entre les usagers et les distributeurs d’eau ? Est-ce qu’elles sont plus à l’écoute, plus conciliantes ?

« Il s’est passé plusieurs choses. La première, c’est que les coupures et les réductions d’eau sont interdites. Les géants de l’eau ont perdu l’arme fatale pour récupérer les impayés. Maintenant, ils sont obligés de travailler sur une dynamique de récupération des impayés via par exemple des prélèvements sur salaire. Donc on est dans un mode normal. L’impayé sur une facture d’eau doit être payé, mais n’amène plus à ce que les gens soient dans des conditions hallucinantes dans leur domicile. C’est la grosse avancée de notre combat. Il y a un autre sujet qui a été très intéressant dans notre combat, c’est quand on a travaillé avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), notamment avec Marie Tsanga-Tabi (ingénieure de recherche). Elle a travaillé avec ses étudiants et a récupéré les bases de données des 1 500 témoignages que l’on a eu. Elle a fait un travail scientifique d’analyse de ces témoignages. Elle a rendu un document qui est accessible sur le site de la Fondation. Ce document explique ce que vivent ces populations pauvres et en quoi la violence mises en œuvre par les multinationales était contre-productive pour tout le monde. A la fin de notre combat, on a pu présenter ce document avec Marie Tsanga, en présence de l’ensemble des multinationales de l’eau et des représentants des régies publiques, pour que les multinationales puissent s’en emparer. Cela a clairement amené une évolution dans le fonctionnement des multinationales. Ces changements ont été très rapides chez certaines, notamment Suez. Elle a été la première multinationale condamnée et a ensuite très vite changer son mode de fonctionnement pour mieux accompagner les problématiques d’impayés. Cela a été plus long pour Veolia et la Saur. Véolia, par exemple, a créé une nouvelle direction, qu’ils appellent le suivi des consommateurs. Cette direction est clairement dédiée à l’accompagnement des familles précaires qui n’arrivent pas à payer la facture d’eau. Je reviens sur quelque chose qui nous avait été dite au démarrage, comme quoi  les coupures d’eau étaient indispensables au modèle économique de l’eau. On se rend bien compte plusieurs années après que ce n’est pas le cas. Les coupures d’eau sont interdites et le modèle économique de l’eau est toujours ce qu’il est, avec ses faiblesses, avec ses forces. Il ne s’est pas du tout écroulé avec l’interdiction des coupures d’eau. »

Le renforcement du droit à l’eau n’est pas encore d’actualité

Il reste encore un combat : celui de faire reconnaitre le droit à l’eau pour tous dans la loi. Les députés avaient entamé le travail avant 2017. Où en est-on depuis ?

« D’un point de vue de communication, tout le monde dit, le droit à l’eau en France existe. Mais d’un point de vue juridique, les multinationales partent du principe que le droit à l’eau en France n’existe pas. Malheureusement, le climat parlementaire actuel ne permet pas réellement de faire avancer les choses. On a eu des petites avancées, notamment dans la loi de proximité, où il y a eu des avancées, notamment sur l’accès à l’eau au niveau des fontaines. Ce sont de petites choses. Mais c’est vrai qu’on attend une vraie grande loi qui puisse permettre de renforcer encore la puissance du droit à l’eau. Derrière, il serait formidable de pouvoir mettre en place un système préventif qui protège et renforce les familles qui n’arrivent pas à payer l’eau, qui n’ont pas accès à l’eau. On estime à peu près à 300 000 familles en France qui sont dans des difficultés très importantes, et un million de familles qui sont dans des difficultés réelles pour payer l’eau. Si on pouvait mettre en place une vraie protection législative et un système préventif d’aide, ce serait formidable. Malheureusement, ce n’est pas réellement d’actualité pour l’instant. »

A chaque citoyen d’œuvrer pour l’intérêt général

Vous avez intitulé votre livre « Victoire des citoyens face aux multinationales ». Est-ce que cela veut dire que votre combat va au-delà des géants de l’eau ? Il s’inscrit dans une autre dynamique ?

« C’est pour cela que l’on a fait ce livre. C’est autant pour raconter l’histoire, que pour inviter les citoyens qui sont engagés, qui mènent des combats, à se dire que, parfois, on peut renverser la table. On est dans une période aujourd’hui qui est très violente. Je pense qu’on a une responsabilité en tant que citoyen engagé pour déconstruire ces violences. Et derrière le combat qu’on a mené, on a clairement déconstruit de la violence pour ces familles qui, chaque année, étaient victimes de ces coupures d’eau. Je fais partie des personnes qui pensent qu’on a la possibilité, chacun à notre endroit, de participer à la déconstruction que ces violences. On doit jouer un rôle. Ce qui a été formidable avec ce combat, c’est qu’on ne s’est pas mis en frontal, on n’a pas fait des manifestations. On s’est servi de deux outils. On s’est servi en premier de la justice. Et cela a fonctionné. Aujourd’hui il y a plein d’associations qui travaillent sur cette dimension de judiciarisation des combats associatifs. La deuxième chose, c’est le relais des médias qui, à chaque décision de justice, parlaient de nos affaires et mettaient en lumière la façon dont les entreprises se comportaient. Ils expliquaient la violence qui était faite aux familles. Les multinationales ont eu du mal à accepter ça. C’est pour cela que Veolia nous a attaqué en diffamation. On a dû se défendre devant la Cour correctionnelle, et on a gagné. Et le juge, dans sa décision de justice, a dit « vous avez eu raison de dire ce que vous avez dit, même si cela pouvait paraître violent pour l’entreprise. Parce qu’en aucun cas vous ne l’avez fait pour vous-même, vous l’avez fait pour l’intérêt général. Et à partir du moment où vous faites les choses pour l’intérêt général, vous avez raison de le dire, de le crier et de faire en sorte que les choses changent ». Et c’est vrai qu’on pourrait attendre des politiques, on pourrait des élites de notre pays, de travailler pour l’intérêt général. On voit que malheureusement c’est trop peu le cas. Et en tant qu’association, en tant que militant, en tant que personne engagée, on a aujourd’hui cette responsabilité de porter l’intérêt général, non pas pour nous en tant que personne, mais bien pour le collectif.  C’était formidable d’être entendu par la justice comme légitime à porter cet intérêt général. Ce livre raconte cette histoire-là. Et il est là pour donner envie à celle et ceux qui portent ses combats, qui ont envie de faire des choses pour l’intérêt général, de dire, nous sommes légitimes chacune et chacun pour l’intérêt général. Je trouve que dans la période actuelle où il y a énormément de violence, cela doit participer à permettre à chacune et à chacun de s’engager sans violence, et de participer au contraire à déconstruire les violences qui sont en œuvre dans notre pays. »

Pour aller plus loin :

 

 

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