« Littérature sans Frontières » est une chronique de Pierre Guelff.
Marie-la-Parisienne, 17 ans, abandonnée par ses parents, recueillie par une chiffonnière, explique : « J’ai commencé à payer ma dette en allant mendier à la porte des églises, mais comme les hommes me trouvaient à leur goût, mes charmes ne tardèrent pas à devenir mon principal gagne-pain. » Et puis, poursuit-elle, « au matin de ce 23 novembre 1923, je me suis réveillée au beau milieu d’un rêve… »
Ainsi débute l’énigmatique et poignant roman « Je partirai pour les terres lointaines » de Paul Couturiau, publié aux Éditions Jourdan. Cet auteur, dont il a déjà été question dans la présente rubrique avec de remarquables ouvrages tels « L’Abbaye aux Loups » (Presses de la Cité) ou « L’Ange de la Renardière » (Lafon), s’attaque – le mot est choisi – à une intrigue judiciaire et historique qui porte six lettres : DAUDET.
Le rêve de Marie ? Un adolescent de 15 ans avec qui elle partagea une nuit. Et quelle nuit ! Il lui déclama Baudelaire, lui dit qu’il s’appelait Philippe Daudet, lui montra l’un de ses poèmes où il était question d’un « là-bas… de terres lointaines »… Elle en pleura, elle la « couche-toi-là », et le supplia de l’emmener avec lui. Il refusa.
Dix ans plus tard, Marie, par la plume délicate de Paul Couturiau, se souvient : « C’était à l’aube de ce 23 novembre où la mort t’avait donné rendez-vous et où, sourd à mes prières, tu choisissais d’aller crânement à sa rencontre. Tu as été la première personne à me traiter non comme un fardeau ou une marchandise, mais comme un être humain. Parfois, je songe que si tu avais vécu… mais, l’histoire ne se réécrit pas, n’est-ce pas ? »
L’auteur a amplement raison. L’histoire ne se réécrit pas, mais elle peut s’écrire et, dans ce cas-ci, le nom « Daudet » prend une tournure particulièrement dramatique. Daudet, c’était un nom écrit en lettres d’or mais, au fil de l’ouvrage, ces lettres se teintent de rouge. Rouge de honte, rouge de sang, rouge de révolte, rouge de l’assassinat ou du suicide de Philippe Daudet ?
Ainsi, que penser de cette magistrale phrase : « Rejeter la faute sur autrui a toujours eu des vertus thérapeutiques pour ceux qui refusent de regarder la vérité en face, mais cela n’a jamais contribué à résoudre un problème » et, que penser, également, de cette constatation : « Ceux qui sentent la sueur, le labeur, la misère, font peur aux nantis. »
Ce roman est, tout bonnement, bouleversant et un sensationnel – dans le sens d’exceptionnel – moment d’Histoire !
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