samedi, décembre 7, 2024

POUR des lectures citoyennes : « Toutes les familles n’ont-elles pas leurs exilés ? » 

Il me paraît opportun de revenir sur « Nocturne pour Stanislas » d’Annie Degroote, roman paru aux « Presses de la Cité[1] » et dont il a déjà été question dans notre chronique « Littérature sans Frontières », car, c’est vraiment un livre à mettre entre toutes les mains, mais plus particulièrement entre celles de ceux que des préjugés récurrents ou occasionnels sur les réfugiés, sur ceux « qui viennent manger notre pain et salir nos femmes », sur « les feignants de grévistes », sur les nostalgiques de « régimes forts »… Assurément, une similitude avec de récentes ou actuelles situations.

Pour rappel à nos auditeurs et lecteurs, Hania, née en 1978, une passionnée de dessin de mode, c’est Anne-Sophie Koslowski, une Française de Douai aux origines polonaises. De famille ouvrière, brillante étudiante, une mère dépressive, un père passif ou désabusé… Durant plus de 300 pages, Annie Degroote emmène le lecteur à découvrir le grand-père Stanislas, partie intégrante, ô combien marquante, des origines de Hania.

L’auteure évoque, entre sagas familiales, le parcours de ces jeunes déracinés de leurs pays venus trimer dans les mines du Nord de la France tant la boucherie de 1914-18, la « Der des Ders », avait fait de victimes ! Puis, ceux qui, pourtant, s’étaient fondus plus ou moins harmonieusement dans le paysage français (« Les mineurs, ces esclaves du travail, mais des seigneurs, fiers de descendre. C’est pénible, mais ce n’est pas une punition. Et cette fierté se propage à leurs enfants… »), furent considérés comme des parias et la chasse aux « syndicalistes rouges » s’organisa pour aboutir à l’expulsion de milliers de travailleurs, renvoyés manu militari dans leurs pays d’origine par trains entiers !

L’Histoire repasse toujours les plats, dit-on. Qu’en pense Annie Degroote, interviewée pour « POUR » (http://www.pour.press) et que je relaie sur « Fréquence Terre » ?

• Vous précisez que l’histoire est un roman, l’intrigue et les personnages totalement fictifs, mais que les faits historiques concernant les mineurs et l’émigration polonaise sont, eux, bien réels. Cependant, vous remerciez une personne qui vous « emmena sur les pas d’une partie de son enfance…« , vous signalez avoir récolté des témoignages et effectué des repérages pour vous « pénétrer de certaines atmosphères« , dès lors, à l’instar  de Gérard De Cortanze (« Le Soir« , janvier 2018), dont il a aussi été question dans « Fréquence Terre »,  ne peut-on pas dire que « tous les livres sont autobiographiques » ou, du moins, les romans (il s’agissait d’eux dans l’interview) en ont une part ?

• Mes personnages sont fictifs, certes, mais le sont-ils vraiment ? Ils sont «  dessinés » à partir de témoignages, de repérages, de récits, d’histoires d’archives, et en ce sens, oui, un roman, ce roman est en quelque sorte autobiographique, surtout qu’au travers de nos personnages, nous mettons beaucoup de nous mêmes, de ceux qui nous ont marqués… Le personnage de Wanda par exemple, est très proche  de ma mère… qui n’était pourtant pas Polonaise. Certains romans sont davantage autobiographiques,  comme dans «  Les amants de la petite reine », mais tous ont une grande part de vérité, à la fois historique et humaine. J’essaie toujours de pénétrer au plus profond de l’âme humaine.

• D’où vous vient cette écriture récurrente de rendre hommage à l’histoire des gens du Nord de la France (région où la paupérisation est très forte : récemment, à Roubaix, 45% des habitants vivaient avec moins de 977 euros/mois), d’y développer les rapports (souvent conflictuels, et pour cause !) entre nantis et prolétaires, la quête d’identité, l’exil… ?

• Dès mon premier roman, j’ai découvert une Histoire du Nord très forte. Je vais donc fréquemment à la rencontre des gens du Nord, au travers des siècles, de leurs ancêtres qui sont leurs  racines. J’aime montrer leur courage, leur entraide. C’est une terre qui a souffert, qui souffre encore, mais s’est toujours relevée, comme le Phénix. Mon histoire personnelle m’a certainement influencée dans mon désir de parler des rapports entre nantis et prolétaires, entre personnes qui sont parfois aux antipodes. J’aime parler des ces amours interdits par les codes de la société, et l’exil, oui, m’a toujours touché. Toutes les familles n’ont-elles pas leurs exilés ? 

• « Nocturne pour Stanislas » ne se veut-il pas une sorte de mise au point « engagée » au moment où tant de gens rejettent les migrants et demandeurs d’asile et que l’extrême droite « cartonne » dans ledit Nord de la France, lui qui, naguère, était considéré comme un bastion de la Gauche ?

• Je ne me dis pas : je vais écrire un roman «  engagé ». Peut-être le suis-je sans avoir jamais écrit ce mot. Je crois que dès que l’on écrit, il y a un engagement, une mise à nu. Le roman est sans doute le reflet de mes révoltes, mes incompréhensions concernant l’intolérance, le refus de l’autre. Cocteau disait : «  Écrire est un acte d’amour » Au travers de ce roman, je montre, je crois, que «  l’autre «  pourrait être «  soi ». 

• Croyez-vous que des mouvements citoyens prônant la solidarité, la désobéissance civile…, finiront pas dicter ou, à long terme, modifier le comportement d’un monde politique par trop scotché aux lobbyistes, multinationales, adeptes de la particratie…, selon maints commentaires et sondages, ou bien s’agit-il de situations isolées comme, naguère, le Larzac et, plus près de nous, mais avec des variantes (actions parfois violentes) Notre-Dame-des-Landes et le projet d’aérodrome ?

• Les mouvements prônant la solidarité, mais aussi la santé de notre planète sont importants à notre époque, plus que jamais. Espérons qu’ils puissent influencer nos politiques, leur faire prendre conscience de l’urgence à changer notre monde. Que l’on puisse trouver plus d’entraide, d’union et de respect de l’autre, respect pour notre terre aussi. 

• Considérez-vous vos ouvrages comme autant d’actions « militantes » allant, justement, dans le sens de ces mouvements citoyens ? Votre prochain sujet ?

Annie De Groote.

• Je n’ai pas la prétention de faire des actions militantes avec mes romans. Ils sont le fruit, hors mon imaginaire, de ce qui me touche et si je peux à mon tour transmettre ces idées, ces pensées qui me tiennent au coeur, ces émotions, j’en serai heureuse. J’aime l’idée d’une chaîne humaine … Nous sommes là aussi pour vivre et transmettre à notre tour ce qui nous a été donné de beau. Dans mon prochain ouvrage, je repars vers le XVIe siècle et les guerres de religion, avec un héros qui tentera de prôner la tolérance au sein de sa famille et de sa région …


[1] Collection Terre de France, 2017.

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