« Littérature sans Frontières »est une chronique de Pierre Guelff
À 16 ans, Gabrielle Renard, brunette tout en rondeurs gracieuses, quitte son paisible village champenois pour Paris parce qu’elle veut davantage de bruit dans son existence, du piment, de l’aventure et des émois. Eh bien ! Elle aura tout ça tout au long des 360 pages du magnifique roman de Lyliane Mosca, « La vie rêvée de Gabrielle » paru aux Presses de la Cité.
Tout l’art de l’auteure est de faire ressentir au lecteur ce roman comme un reportage sur le terrain, au cœur même des événements.
Ainsi, Gabrielle se retrouve nurse du deuxième enfant du couple Auguste et Aline Renoir. À sa meilleure amie qui la traite de bonniche, la réplique tombe comme un couperet : « Toi, tu ne sortiras jamais du village. Pendant ce temps, moi, je visiterai Paris et je connaîtrai du beau monde. Des artistes, des écrivains… »
Ainsi, un destin exceptionnel débute en ce bel été 1894 à Montmartre. Et, aux Renoir, elle déclare tout de go : « J’estime que les tâches sont plus douces en chantant. C’est ma façon de faire, chanter en travaillant, et ne jamais me plaindre ! »
Entre deux tâches, elle regarde le peintre à l’œuvre : « C’est beau, patron. Je n’y connais pas grand-chose, mais c’est beau. » Renoir apprécie et, rapidement, la « beauté simple » de Gabrielle l’attire.
Nounou parfaite, cuisinière hors pair, mettant autant de cœur à faire la vaisselle qu’une tarte, elle accepte de poser pour l’artiste pour qui elle a des sentiments confus : de l’admiration et, comme elle le dit elle-même, « autre chose que je ne sais pas définir ».
Et, comme elle se dit une femme libre et qu’elle le restera, cela occasionne rumeurs, jalousies, envies, commérages et, parfois, reconnaissance. Renoir explique : « Gabrielle est si attachante avec sa gaieté, son bon sens et cette sensualité qu’elle met dans toute chose ! C’est la grâce incarnée. Le charme pur de la femme. Bientôt, il faudra qu’elle se déshabille pour que je la peigne dans toute sa plénitude… »
Et, elle accepte et devient quasiment tout aussi célèbre que son patron tant les toiles du maître se vendent et font un tabac dans de prestigieuses expositions.
Les années passent, Renoir est très malade, elle lui sert d’infirmière, et à 32 ans, alors qu’elle n’a rien construit encore de sa vie, elle se sent prisonnière des Renoir et réalise qu’elle est née trop tôt pour le fils Jean, devenu amoureux de son ancienne nounou, et trop tard pour le père, les deux hommes qui comptent le plus dans son existence.
Soudain, elle, la combattante, se sent seule, très seule, jusqu’à la rencontre avec un riche artiste américain totalement inconnu, qui le fascine et ressemble tant à… Renoir-père.
Devenue sa maîtresse, au grand dam de Jean, futur cinéaste célèbre, elle clame encore haut et fort qu’elle est avant tout libre : « Pas besoin de mariage avec mon Américain ! », car elle se souvient, qu’à l’âge de 10 ans, elle gardait les vaches à Essoyes, son village champenois où, à l’heure actuelle, sa maison natale est même devenue un lieu touristique !
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