lundi, mars 18, 2024

L’économie totalement tournée vers le mieux-être est l’obstacle majeur au bien-être

Quand, au tout début des années 1970, je lus et entendis quelqu’un énoncer qu’une société conviviale était une société où l’être humain contrôlait l’outil et non l’inverse comme le faisait le trio capitalisme-communisme-religion et l’hyper-industrialisation, que l’école devait être démocratisée au profit d’un apprentissage s’apparentant au compagnonnage, qu’il mit au point un programme pour le Tiers Monde avec une formation concrète basée sur des idées neuves et des énergies nouvelles opposé à la philosophie expansionniste américaine et à l’endoctrinement de l’Église catholique, je fus directement impressionné.

 

Cette personne était Ivan Illich (1926-2002) qui, à l’heure actuelle, retrouve un écho sociétal assez conséquent.

Il est vrai, qu’en 1973, il s’était révélé un incontestable visionnaire :

« Je crois que la croissance s’arrêtera d’elle-même. En un temps très court, la société perdra confiance non seulement dans les institutions dominantes, mais également dans les gestionnaires de la crise.

Ce qui est évident pour quelques-uns, sautera un jour aux yeux du monde, à savoir que cette économie totalement tournée vers le mieux-être est l’obstacle majeur au bien-être. »[1]

Ce philosophe, penseur de l’écologie politique, libertaire, critique de la société industrielle, fut d’abord un prêtre considéré comme rebelle puis comme un drôle de personnage puisqu’il n’hésita pas à interpeller directement le pape sur sa non-dénonciation de l’arme nucléaire, ce qui n’a guère été du goût du Vatican.

Ivan Illich développait des théories où dominait le concept de convivialité, où il réclamait avec force de sortir des idées préconçues, clamait que la planète était en danger et préconisait un projet urbain à forte connotation écologiste (marche, vélo, transports en commun…), il en appelait à une société qui ne crée pas d’inégalité mais renforce l’autonomie de chacun en accroissant le champ d’action sur la réalité.

Pour lui, la guerre tend à égaliser et homogénéiser les cultures tandis que la paix est la condition dans laquelle chaque culture s’épanouit de sa propre inégalable manière.

Selon Franco La Cecla, anthropologue et incontestable spécialiste de la pensée d’Ivan Illich, qu’il côtoya beaucoup, la méthode de celui-ci se voulait radicale en appelant à un monde écoconscient articulé sur des relations de proximité.

Illich disait qu’il fallait distinguer l’école de l’éducation et il faisait remarquer qu’elle était devenue un lieu de compétition, un lieu où l’acquisition de diplômes devenait plus importante que l’acquisition du savoir.

Il développa cette analyse en soulignant que le ministère de l’éducation était principalement préoccupé par la comptabilisation du nombre de reçus au BAC : la course à ces statistiques continuelles empêcherait considérablement les enfants de s’installer dans la Vie, selon lui.

Il ne dénonça pas l’école, mais la manière (comme l’Église, ajouta-t-il) dont elle pervertit en institutionnalisant les études et en ne faisant pas la connexion entre elles, en imposant une discipline qui ne laisse pas l’enfant s’épanouir au monde actuel, d’où, de plus en plus de décrocheurs et d’inégalité dans ce système de transmission.

Pour lui, l’enseignement et la pratique de la production, la culture orientée vers la consommation de biens et de services, la société technologique avec ses spécialisations à outrance, étouffent la disponibilité à la convivialité.

Ivan Illich fut un penseur engagé qui avait le sens du concret et du réel, celui d’un monde de résistants à la guerre du Vietnam et à la folie du nucléaire, celui des objecteurs de conscience d’inspiration libertaire.

Il avait choisi une voie laïque par ses positions sur l’avortement, le célibat, le ministère féminin, la contraception, la pauvreté, selon Franco La Cecla.

Il était franchement contre l’acharnement thérapeutique le comparant à de la torture, et il considérait même les soins de santé comme une entreprise et un « garage humain », regrettant amèrement le temps du diagnostic médical qui était établi par la relation d’écoute personnelle entre le médecin et le patient, diagnostic devenu un ensemble de radiographies, de biopsies, d’analyses qui s’expriment en graphiques et courbes de probabilités, dénonça-t-il au grand dam de scientifiques.

Néanmoins, force est de remarquer qu’une grande partie de ses thèses sont devenues évidentes dans « un monde qui semble brûler du désir de se détruire ».

Précision : pour d’aucuns qui le côtoyèrent, surtout à la fin de sa vie alors qu’il était atteint d’un cancer au visage, Ivan Illich se serait montré colérique, despote, irrespectueux, négatif, un véritable gourou qui jouait au maître absolu, ne supportait pas la contradiction et considérait les autres comme des subalternes, certains ne méritant même plus son amitié, selon lui.

 

[1] Idées, RFI, 6 septembre 2020 et Ivan Illich et l’art de vivre, Franco La Cecla, Atelier de création littéraire, Lyon, 2021.

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